Samedi 25 aout

Je suis allée au Spar, en fin de matinée. C’est qu’il faut pas se louper le samedi, à 13h tout le monde plie boutique. A l’entrée, je me suis retrouvée avec une vieille dame, bien emmerdée, elle aussi, de ne pas avoir les 20ft pour le caddy. On a négocié avec une opulente quinquagénaire, et acheté nos légumes ensemble. Très gentille, elle m’a aidé à peser et choisir le bon numéro, mais hé ! je sais, moi, que les paradiscom, c’est le 32 ! Enfin, tout ça pour dire que les gens sont souvent aux petits soins, ici. Hier, même genre, deux femmes de l’immeuble, sont venues vérifier que la fuite d’eau des étages du dessus n’avait pas percé jusque chez moi. Je crois que tout le monde, dans l’immeuble, sait que je suis française. C’était marrant, comme je panais rien, elles me faisaient des grands gestes, des imitations d’eau qui dégoulinait du plafond… Bref, exaltant !
Enfin, faut pas croire, j’ai bossé un peu. Sans Internet, mes livres et la possibilité de lire mes CD et DVD, c’était pas fastoche, fastoche, mais quand même, j’ai fini une petite exploitation du Fabuleux destin d’Amélie Poulain, et j’ai commencé un boulot sur plusieurs séquences de Matin Brun, la nouvelle que si tu l’as pas lue, et bein il faut que tu la lises.

Sous mon balcon, il y a toujours un groupe de petits vieux pour venir taper la causette sur les bancs, c’est vraiment chantant le hongrois. Le soleil tatane sec. Mais il y a toujours un petit vent, bien agréable le matin et le soir. Comme dit mon papa, le soleil, ça s’apprécie à l’ombre. Mais l’ombre, ici, y’en a pas ! Les avenues, comme les rues, ont ce côté mégalo d’être immenses, souvent sur deux ou trois voies des deux côtés de la route, avec de graaaands trottoirs qui n’en finissent pas. C’est l’héritage rouge, quoi. Je pense que je vais attendre les 18h pour faire un tour, histoire de me balader. La nuit tombe tôt.

Mercredi 22 aout

Rien, toujours rien ! C’est maintenant officiel, je m’ennuie sec. Heureusement, j’ai emprunté quelques BD à l’Alliance (d’abord Les Compagnons du Crépuscule et maintenant Les Passagers du Vent). Ma coordinatrice ne coordonne rien du tout. J’étais censée avoir une copine attitrée, officiellement intéressée par mon cas de jeune expat’ qui devait m’aider à m’installer, me sortir, me présenter des gens. Même des pas marrants, j’étais preneuse ! J’ai cru que je l’avais eue mauvaise un peu trop tôt, en recevant un texto gentil tout plein, ce lundi : « Salut Camille. Aujourd’hui à l’occasion de la fête nationale on tire un feu d’artifice, à 22h. Tu aurais envie de venir avec moi ? » Bien sûr, je veux. Fini de marronner ! Je me pomponne, je prends le bus 35 (en fraude, 250ft faut pas dec’) et je me pointe sous la statue blanche, en face de la mairie. Je m’assoie et j’attends. J’envoie un texto à Judit. Et je suis une acharnée, moi, j’ai attendu 1h30. A côté d’adolescents pur fruit MTV qui, eux, avaient l’air de bien se marrer (malgré leurs sapes ringardes) ! Et j’ai même pas compris ce que le gars sur la place crachait dans son micro : un orage pourrait éclater, le feu d’artifice est annulé. Et reporté. Mais ça aussi je l’ai compris qu’hier soir, dans mon lit, quand j’ai cru qu’une guerre civile avait éclaté.
La première fois qu’on s’est vu avec Judit, elle avait 1h30 de retard. j’avais 76kg de bagages et un chat sur les bras. La première fois où on a pris rendez-vous, elle m’a envoyé un texto de dernière minute pour annuler notre balade, sur l’avenue principale. Et cette fois, elle m’a carrément plantée. Quelqu’un a bien essayé de me parler, mais non, définitivement, nous ne parlons pas la même langue ! J’en ai profité pour passer quelques textos, comme ça, nonchalamment…
Apparemment, mon prédécesseur l’avait bien dans le pif la Judit. Et les professeurs de l’Alliance lèvent les yeux au ciel quand je la cite. Je ne suis pas seule dans ma haine, c’est un plus.

Ah ! Mais si, j’ai parlé à un humain aujourd’hui. Un professeur d’EPS et de français, du lycée Fay András, est venu, accompagné de la secrétaire du lycée. Moi je m’attendais à un beau slave tout athlétique ! Elles sont arrivées à 9h pour faire l’état de lieux de l’appartement : 12 verres, 3 tasses… elles ont même compté les fourchettes, et chercher le porte-serviettes pendant 5 minutes. Ça peut être long 5 minutes. Mais Ildiko est vraiment charmante. Elle a la cinquantaine, s’habille sportwear, se fait colorer blond vénitien, et parle un français tout mignon en roulant les R. Elle va essayer de me dégoter un lecteur DVD et va m’envoyer quelqu’un pour régler la TV (j’ai pourtant dit que ça servait à rien) et pour réparer les portes du placard de la cuisine (ok, ça, ça peut servir). On a bu le thé, elle avait amené des faux Pim’s à l’orange, mais bons quand même.

… Je sais pourtant que cet état de grâce, où on tue le temps comme on peut, va bientôt me manquer. Que je vais m’empêtrer dans un emploi du temps pas possible d’ici peu !

Dimanche 19 aout


Joyeux anniversaire ma belette ! Didine me manque. C’est un grand classique ça, même si on ne voit pas les potes tous les jours, on peut se payer le luxe de les snober sans qu’on se sente seule. Mais dès qu’on fait quelques bornes, on fait moins sa maligne…

Journée fructueuse ! J’ai réussi à faire une lessive puis à aller acheter mon pain toute seule ! Fière. Et ce soir, je sors. Rien de folichon, je vais dîner chez Beata, professeur à l’Alliance Française. J’ai retrouvé Hieu en centre-ville, au croisement Széchenyi et Kossuth à 17h30. En avance, lui aussi, alors on prend le temps de discuter. Aaaah discuter… Hieu a enseigné à Melbourne l’an passé. On se demande si ça peut valoir le coup de rester deux ans.
On croise une petite parade nuptiale, enfin un cortège de tout fraîchement mariés, avec invités empapaoutés et musiciens violoneux. J’ai pris le vieux en photo, il était trop beau. On a pris le Tram, d’où un Tsigane s’est fait virer par le conducteur qui est sorti de sa cabine pour le virer. Les gens ont piaillé dès que le gars est descendu. Je préfère sûrement ne pas avoir compris. C’est le mari de Beata et leurs deux garçons qui nous accueillent en bas de la rue. Les petits sont surexcités ! Comme chez moi, l’immeuble ne paie pas de mine, mais l’appartement est plutôt chouette. Il est certainement grand mais tellement rempli de bibelots, de tableaux et de meubles massifs, que ça lui donne un petit côté cosy. Enfin cosy de l’Est. Les napperons sont en velours et rehaussés de fil doré. On est installé dans les fauteuils du salon en attendant que le repas soit prêt. Domi, le plus petit, m’adopte tout de suite. On a pas franchement besoin de se comprendre pour jouer. Hieu n’a pas de bol, Benedek veut faire une partie d’échecs, et il a beau avoir 7 ans, il joue bien. Et Hieu mal. Malgré les conseils avisés du petit mioche, qui ne renâcle pas à lui expliquer de bout en bout les règles du jeu. M’enfin en hongrois, il risquait pas de comprendre… Les deux garçons sont vraiment rigolos.
Depuis l’apéro (toasts paprika et palinka) jusqu’au dessert (tarte aux prunes) Beata et son mari tenaient à nous faire un repas typiquement hongrois. Mon premier goulasch ! C’est le mari qui cuisine. Il est très sympa, très curieux, et nous parle en anglais. Le même anglais que moi, c’est cool. Il est plus relax que sa femme, qui rigole un peu jamais. Rythme hongrois oblige, on part à 22h15, en se disant qu’il est bien tard ! Des petits joueurs.

Demain, c’est dit, je finis la pile de ELLE magazines de la commode.

Vendredi 17 aout

Voilà, j’ai terminé mon bilan psycho de Bien Vivre ma Vie. Je m’ennuie. Et il n’y a que ça dans l’appartement, hormis les meubles, une pile de magazines féminins
… Je vais savoir qui je suis !

J’ai totalisé 62 en Amour, 74 en travail, 77 en famille, et 85 en vie sociale. Voilà pour l’ordre de mes priorités... hum, c’est assez juste, au final. Allons-y pour l’analyse de pointe : « L’amour tient une place très importante, vous ne le laissez pas pour autant gouverner votre existence. Vous savez garder la tête froide quand il faut et, chaque fois qu’une passion risque de vous emporter vers des rivages dangereux, vous savez vous arrêter à temps. » Oui, ben faudrait peut-être que j’arrête d’arrêter. « Vous préférez une liaison où la tendresse et la complicité l’emportent sur la grande passion exacerbée. » C’est pas faux. Voire vrai. Et le travail ? « Il y a des choses qui vous intéressent plus que votre boulot […] vous avez probablement déjà fait dériver l’énergie et l’enthousiasme que certains mettent dans leur travail vers d’autres activités qui sont, à vos yeux, beaucoup plus intéressantes. » Je passe pas pour une flemmarde ? Un peu quand même ! En fait, ce que le magazine veut dire, c’est que j’ai pu m’épanouir dans bien d’autres domaines, que le job alimentaire, très peu pour moi. C’est sûrement ça. Côté famille, « ce n’est peut-être pas à la mode, mais la famille, vous vous y sentez bien ! Que ce soit le petit cocon de la famille retreinte » Oui, oui, « ou même l’ambiance de la famille élargie » Ah non ! Non. Ah, et le meilleur pour la vie sociale. « Vous vous intéressez aux personnes, individuellement, mais aussi de façon plus large, collectivement, d’un point de vue social ou politique. Alors que l’horizon de certaines personnes s’arrête à leur contexte de vie, le vôtre s’étend plus largement vers le genre humain dans son ensemble. Avec l’intérêt pour les autres, vient également la compassion et la tolérance. L’amitié est, pour vous, une des pierres angulaires de l’existence. Cette compréhension profonde des autres ne vous a pas menée pour autant vers une attitude naïve qui vous ferait prendre tout le monde pour des anges. Au contraire, vous connaissez la nature humaine, vous savez que le mal et la bêtise existent » et sont en chacun de nous, amen ! Il est trop fort de magazine. Je n’aurai pas perdu mon après-midi. Félisse ne se planque plus sous les canapés – j’ai un tas de canapés – elle s’acclimate, comme moi. Je vais faire ma belle sur le balcon, il doit y faire chaud encore, mais c’est ça qui est bon.

J’ai un peu de mal avec l’esthétique soviétique ! Des immeubles décrépis, bardés de balcons-cages, vitrés de bleu ou d’orange (à moins que ce soit du jaune) sur une quinzaine d’étages. J’ai vue sur les poubelles de l’immeuble, plus loin. La prochaine fois, je postule pour un poste à Venise.
Les éboueurs ne doivent pas avoir beaucoup de travail, le tri est fait tout au long de la journée par des Tsiganes, toujours affublés d’un sac à dos ou de vieux cartons, et d’un pic pour fouiller dans les déchets putrides. Ils sont souvent à vélo, pour mieux écumer tout le quartier. Ça secoue sacrément le ventre, quand il s’agit d’une famille qui vient prendre le déjeuner sur place. Mais selon Beata : « Le problème avec eux en Hongrie, c’est qu’ils ont le droit de vote. » Ca fait mal, hein !

Mercredi 15 aout


Le voyage, c’est toujours une sorte de bulle hors du temps, on ne vit pas vraiment, je crois qu’on attend d’arriver. Mais ça se raconte quand même !

La Hongrie n’est pas bien loin, et pourtant j’ai l’impression que le voyage n’en finira jamais ! La veille, j’ai dormi à Vouvray (Haut Bugey) dans la maison de mon arrière grand-mère, où mes grands-parents viennent toujours passer quelques jours en été. Ça nous permet de faire un dernier repas en famille ! Je suis contente de les voir avant de partir. Très tôt ce matin, mes parents m’ont emmené à l’aéroport de Genève. Mauvaise surprise, mon billet d’avion limite les kilos de bagages ! Et j’ai beau avoir fait tri sur tri avant de partir, y’en a pour bonbon. Je culpabilise un maximum. C’est Eric qui a payé, ma CB ne passait pas.
Ça me fait tout drôle de les laisser ! J’écourte un peu les adieux, j’ai une petite boule dans le ventre. Escale à Bruxelles, pour deux petites heures. Le temps de trouver le terminal, de boire un coup, et de discuter avec un riche couple d’américains qui gagatent grave sur le chat. Félisse me permettra de passer toutes les douanes tranquille. J’aurais pu trimballer 15kg de fromage qui pue bourré de mescaline, qu’ils n’auraient rien repéré. Arrivée à Budapest, c’est le grand saut ! Tout à coup, je ne comprends plus ce que disent les gens et ne pige rien aux panneaux. « C’est là que le rêve commence » on dit au Cabaret. J’ai quand même eu la riche idée de fouiller sur Internet et d’apprendre qu’il fallait que je dégote une navette à 2300ft pour la station ferroviaire Keleti. Le chauffeur a des bouilles comme je les aime, mais lui, il a pas l’air bien content de me voir arriver avec une valise, un sac à dos et un chat. De toutes façons, je vais pas les laisser là ! Sur le trajet, je discute un peu avec une minette de trente ans, en anglais, mais, arrivées à la gare, on ne va pas dans la même direction. Elle, part pour Pécs, dans le sud. Et moi à Miskolc, dans le nord. Tant pis !
Quelle idée d’arriver pour le 15 août à Budapest… C’est le dernier jour du Sziget Festival, et la gare est complètement saturée de néobabs et autres jeunes chevelus. Moi ça me rassure, je me sens un peu plus chez moi en fait. Mais ça donne une sacrée file d’attente au guichet… Deux bretons sont juste derrière moi. On discute, je les impressionne un peu de partir m’installer, comme ça. Du coup, je dois tenir le rôle, ouais, ouais, ça va être super cool !… Hé ! Mais c’est la file d’attente internationale qui est trop longue ! Je passe sur la file de gauche, réseau national. C’est bien de lire les panneaux des fois. Je prends mon billet (et celui de Félisse, pas folles les compagnies de transport) et je cours jusqu’à mon quai ! Pas un petit homme en costume avec un sifflet, pas un agent pour vous renseigner… j’ai du bol, je tombe sur un technicien sur une vieille locomotive, je lui crie Miskolc ! Miskolc ! Et je trace dans la direction qu’il m’a donnée. Ouf ! J’ai mon train. Genre western soviétique, c’est la classe ! J’ai acheté le billet à 13h56 et le train partait à 14h05. Pour le timing.

J’ai déjà fini la biographie de Janis Joplin, par Jean-Yves Reuzeau (Folio). Vais la conseiller à tout le monde : la conseille à tout le monde !